DE L’INTERÊT PRATIQUE D’ENCADRER LES CLAUSES D’AUTORISATION ÉCRITE DU BAILLEUR EN CAS DE CESSION DU FONDS DE COMMERCE

  1. Sur les clauses d’un bail commercial limitant le droit du preneur à céder celui-ci dans le cadre d’une cession du fonds de commerce

La cession d’un fonds de commerce constitue l’exercice pour le locataire-exploitant de la liberté économique de céder son activité, notamment visée à l’article L. 145-16 du code de commerce.

Celui-ci répute en effet non-écrites les clauses des baux commerciaux édictées au profit du bailleur interdisant purement et simplement la cession du bail commercial à l’acquéreur d’un fonds de commerce, à propos duquel on rappelle que le droit au bail constitue un des éléments fondamentaux.

Pour autant, cette liberté économique se confronte légitimement aux droits que détient le bailleur des locaux de contrôler au préalable, s’il le souhaite, la personne et les garanties de solvabilités du cessionnaire, qui sera alors le nouveau débiteur des loyers et de ses accessoires. En particulier, le bailleur souhaite généralement vérifier, à juste titre, la solvabilité du repreneur, et ce d’autant que la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, dite loi Pinel, limite à trois ans après la cession du bail la possibilité pour le bailleur d’exiger contractuellement de son ancien locataire la solidarité avec son successeur au titre du loyer et de ses accessoires.

Dès lors, si les clauses interdisant toute cession du bail commercial dans le cadre d’une cession du fonds de commerce sont illégales, les clauses aménageant ce droit de cession sont logiquement acceptées par la jurisprudence.

Plusieurs types de clauses ont été validées par le juge, comme à titre d’exemple les clauses d’agrément permettant au bailleur d’évaluer personnellement les qualités du repreneur avant de donner son accord, les clauses de formalité fixant par exemple la nécessité pour le bailleur d’obtenir un titre exécutoire, ou encore les clauses d’accord exprès et écrit du bailleur à la cession, accompagnée le plus souvent d’une obligation pour le locataire de l’appeler à l’acte de cession.

L’enjeu pour les rédacteurs des baux commerciaux est alors de trouver le juste équilibre entre le droit du locataire de transmettre le bail dans le cadre d’une cession du fond, trouvant sa limité dans le droit du bailleur d’apprécier la personnalité du cessionnaire et la certitude d’obtenir paiement du loyer et des accessoires.

Se pencher sur les clauses d’autorisation écrite du bailleur est donc intéressant car celles-ci cristallisent les problématiques liées au refus illégitime du bailleur d’autoriser la cession, et témoignent de la nécessité de les encadrer de manière fine au mieux des intérêts des parties.

Elle peut être de la forme suivante, usuelle dans les baux commerciaux :

« Ne pouvoir céder ni sous-louer, en tout ou partie, aucun droit au présent bail, sans le consentement exprès et par écrit du bailleur, sous peine de résiliation, si ce n’est à un successeur dans son fonds de commerce sous condition d’autorisation écrite du bailleur, et en restant garant et répondant solidairement de tous les occupants ou cessionnaires successifs tant pour le paiement des loyers que pour l’entière exécution de toutes les conditions du présent bail ».

Bien qu’elles soient usuelles, ces clauses soulèvent pour autant des difficultés dont le rédacteur d’acte doit avoir conscience.

  1. Sur les difficultés pratiques rencontrées

En premier lieu, cette clause d’autorisation est à distinguer d’une clause d’agrément qui a pour vocation de laisser toute liberté au bailleur d’agréer ou non la personnalité même du cessionnaire, et en particulier d’apprécier par lui-même son projet commercial de reprise ainsi que ses garanties de solvabilité, sauf refus illégitime à l’issue de cet examen.

La clause d’accord écrit est donc plus souple à cet égard, et sans autre précision, elle n’a pour objet que de fournir un accord écrit de la part du bailleur de manière à valider le transport de créance et la présence d’un nouveau débiteur dans les lieux, et tient ainsi davantage de la preuve de la transmission d’une information.

Pour autant, en cas de rétention de cet accord, et ce même sans motif, la cession se trouve en pratique bloquée dans les mêmes conditions que si le bailleur refusait son autorisation par le truchement d’une clause d’agrément, alors même qu’il n’en a pas le pouvoir au titre d’une simple clause d’accord.

En effet, la régularisation de la cession sans son accord la lui rendrait inopposable et pourrait donner lieu à résiliation du bail, donc à l’expulsion du cessionnaire nouvel occupant des lieux (Cass. 3ème civ., 15 juin 2011, AJDI 2012, 190 obs. Darmon ; RJDA 2012, n° 255).

Ainsi, en cas de refus, les effets d’une clause d’agrément et d’une clause d’accord du bailleur se confondent.

En pur droit, toute rétention indue d’un tel accord ou tout refus non légitime de la cession peut être contournée par une procédure judiciaire, puisqu’une telle position, constitutive d’un abus de droit, entrainerait pour le locataire un droit à réparation de son préjudice. Dans le même sens, un tel refus ne constitue pas un obstacle définitif puisque le locataire peut également s’adresser au juge pour qu’une telle cession ait lieu en sollicitant l’autorisation judiciaire de la régulariser en passant outre le refus du bailleur (Cass., 3ème civ., 9 mars 1967, Hôtel Terminus c/ SCI Paris Deauville, Bull. civ., III, n° 111), et ce même en référé (CA Aix-En-Provence, 26 mai 1994, 4ème ch. Civ. Bermond c/ Bacchi, Loyers et copropriété 1994 comm. n° 437).

Rappelons qu’une telle autorisation judiciaire de passer outre le refus est juridiquement nécessaire puisqu’en matière de baux commerciaux, la seule connaissance du transfert du bail par le bailleur n’est pas suffisante (pour la nécessité d’identifier une attitude non équivoque du bailleur, CA Angers, 17 sept. 2003, n° 02/942).

Autrement dit, tout refus définitif mais illégitime de la part du bailleur ne trouve nécessairement sa sanction qu’à l’issue d’une décision de justice. De même, le silence du bailleur, comme la poursuite de pourparlers anormalement longs, paralysent la réalisation de l’opération de cession, qui ne pourra se concrétiser qu’avec une telle décision.

Si en droit il est loisible pour le locataire de se faire autoriser judiciairement à passer l’acte de cession sans l’accord du bailleur, il n’en demeure pas moins qu’en pratique, cette procédure est sujette à des lourdeurs certaines. Le temps des pourparlers entre le locataire-cédant et le cessionnaire du fonds de commerce n’est en effet nullement celui du juge judiciaire, nécessairement plus long et plus complexe, et ce même si des procédures en urgence sont entreprises. En outre, et d’un point de vue commercial, une telle difficulté pourrait freiner les velléités d’acquisition des candidats à la reprise, présageant, parfois à juste titre, de difficultés futures avec le bailleur.

Dès lors, une telle procédure judiciaire, même si elle a le mérite de forcer la cession à l’encontre du bailleur, constitue à l’évidence un signal négatif pour les parties au contrat de cession.

Evidemment, la négociation préalable à la saisine du juge judiciaire est préférable, et doit être dans l’idéal menée par un professionnel, tant la variété des clauses et des situations de chaque dossier est grande.

Aussi, une des solutions serait de prévenir le problème en amont, au moment de la rédaction de l’acte par les praticiens.

  1. Sur la nécessité d’un encadrement des clauses d’accord

La rédaction d’une clause aux termes de laquelle, sans autre précision, serait nécessaire l’accord exprès et écrit du bailleur pour régulariser la cession du bail dans le cadre de la cession du fonds de commerce laisse en pratique un pouvoir important au bailleur.

Comme précisé, ce pouvoir ne peut être le cas échéant sanctionné que par le truchement d’une procédure judiciaire, avec toutes les lourdeurs inhérentes et dans un contexte où le juge a parfois tendance à se montrer libéral quant aux motifs de refus (par exemple dans le but de protéger un des associés d’une société : Cass., 3ème civ., 25 oct. 2011, n° 10.25-338).

Il convient plutôt, au stade de la rédaction, d’encadrer ce type de clause plus rigoureusement par des conditions ne laissant pas toute latitude au bailleur pour retenir de manière illégitime son accord, sans pour autant limiter abusivement son droit.

Il conviendrait donc, au stade du bail commercial, de viser précisément les cas de refus possibles de l’accord du bailleur. Même si naturellement ce dernier ne saurait par avance renoncer à un motif de refus légitime à naître, une énumération précise des paramètres sur lesquels le bailleur pourrait se fonder pour délivrer ou non son accord constituerait une sécurité intéressante pour les parties. Ces paramètres seraient naturellement négociés au stade de la rédaction du bail commercial, préservant ainsi l’équilibre contractuel et la sécurité des parties.

Ces paramètres pourraient être définis par l’existence ou non d’une garantie solidaire du cédant, un apport financier personnel du cessionnaire dans le cadre d’un financement bancaire, la fourniture d’un projet commercial préalable étayé, ou encore la justification d’une expérience dans le domaine d’activité cédé. Ainsi, hors ces cas, le bailleur ne pourrait refuser son accord, et une telle rédaction faciliterait également la décision du juge qui dégagerait plus aisément la commune intention des parties au contrat de bail.

Un tel encadrement présenterait donc l’intérêt de préserver le droit du bailleur qui aurait toujours loisir de refuser son accord, mais pour des motifs tirés uniquement de ces paramètres, et dans le même temps de maximiser les chances du preneur de l’obtenir en écartant du débat l’appréciation de la légitimité ou de l’illégitimité d’un éventuel refus, débat éminemment subjectif.

Rappelons d’ailleurs que plus que la rigueur du régime juridique, la condition de la fluidité des rapports économiques et commerciaux tient à la prévisibilité de leur mise en pratique.

David-Emmanuel Picard

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